14 mai 1941 : La rafle du « billet vert »

Le 14 mai 1941, 3 700 juifs – des hommes de nationalité polonaise, tchèque ou apatrides – sont arrêtés à Paris. Cette rafle, dite rafle du « Billet vert », est la première arrestation massive de juifs en France.

Ils avaient reçu la veille,  une convocation individuelle – un papier de couleur verte – signée du commissaire de police, les « invitant à [se] présenter » à 7 heures du matin, munis de leurs pièces d’identité et accompagnés d’un proche pour « examen de [leur] situation ». Une simple formalité en apparence, à caractère obligatoire cependant : « La personne qui ne se présenterait pas aux jours et heures fixés, s’exposerait aux sanctions les plus sévères ».  Tous n’y ont pas répondu puisque environ 6 700 billets verts avaient été envoyés. Six adresses sont investies pour recevoir les convoqués, des policiers procèdent au contrôle des papiers et les gardiens de la paix assurent l’encadrement. Les juifs de proche banlieue, moins nombreux, sont convoqués directement dans les commissariats et postes de police. La personne qui accompagne se voit, quant à elle, chargée d’aller au domicile pour en rapporter une valise et des effets personnels. Vers midi, les hommes sont conduits dans des autobus vers la gare d’Austerlitz puis, sous la surveillance de policiers et militaires allemands, embarquent dans des trains de voyageurs de 3ème classe à destination de Pithiviers et Beaune-la-Rolande. Ces deux camps situés dans le Loiret, à 90km au sud de Paris, sont les premiers camps d’internement de juifs de la zone occupée. Le camp de Drancy ouvrira trois mois plus tard, à l’issue de la seconde rafle, le 20 août 1941.

Cette arrestation répond à la volonté du gouvernement de Vichy d’appliquer le décret du 4 octobre 1940 associé au statut des juifs, donnant aux préfets le pouvoir d’interner les « étrangers de race juive » dans des camps spéciaux. Dresser une liste de personnes à arrêter, en connaître l’âge, l’adresse, le sexe et la profession est rendu possible par le recensement, ordonné le 27 septembre 1940 par l’administration militaire allemande et réalisé par la Préfecture de police. Fin avril 1941, il ne reste qu’à trouver un emplacement pour établir ces « camps spéciaux » dans la zone occupée. Les camps Pithiviers et Beaune-la-Rolande avaient initialement été créés en 1939, pour rassembler des réfugiés et prisonniers de guerre. Le 14 mai 1941, leur fonction est détournée avec l’arrivée, largement photographiée, de ces 3 700 hommes juifs étrangers internés dans les camps du Loiret. Les photographies seront diffusées dans la presse collaborationniste. Que cherchent-elles à montrer : le juif piégé en manteau et chapeau, qui, le matin-même, se rendait à une convocation ; l’étranger puni qui a abusé de l’hospitalité du pays et l’a conduit à la défaite ? Le lendemain, Le Matin publie un article sous le titre : « Paris débarrassé de  nombreux juifs étrangers ». Le quotidien antisémite La France au travail écrit, quelques jours après, un compte-rendu de visite aux camps intitulé : « J’ai vu des juifs travailler ». C’est également pendant ces premiers jours de l’internement qu’est prise la fameuse photographie visible dans Nuit et Brouillard, sorti en 1956, censurée pour ne pas laisser apparaître l’uniforme du gendarme français qui surveille le camp de Beaune-la-Rolande.

Les hommes sont enregistrés un à un à leur entrée dans le camp. Sur leur fiche individuelle, les données, semblables à celles du recensement, sont rapportées et accompagnées d’un numéro de matricule et numéro de baraque, qui constituent les nouvelles coordonnées de l’interné. A la mention « motif d’internement » au dos de la fiche, on lit parfois sur les fiches de Beaune-la-Rolande : « en surnombre dans l’économie nationale ».

Ces camps sont ouverts à l’initiative des autorités nazies et placés sous l’autorité de la préfecture du Loiret qui y affecte principalement des gendarmes et gardiens auxiliaires. Ce montage de responsabilités ne manque pas de susciter la perplexité des internés juifs, pour lesquels, malgré une surveillance exclusivement française, la France ne peut représenter une menace. Depuis le camp de Pithiviers, Isaac Schoenberg écrit ceci  à sa fiancée Chana, qui témoigne bien de l’ambiguïté qu’il perçoit de la collaboration : « Nos ennemis sont bizarres : tu demandes au Français, il te répond que c’est l’Allemand qui t’expédie au camp ; tu demandes à l’Allemand, il te répond qu’il n’a rien à y voir. La vérité, c’est qu’ils le font tous les deux, et que le Français cherche à surpasser son maître et le fait très bien ».  Comme l’ont été de nombreux juifs arrêtés au « Billet vert », Isaac Schoenberg est déporté plus d’un an après son arrestation, par le convoi du 25 juin 1942.

Cette opération du 14 mai 1941 a marqué une nouvelle étape dans l’application des forces additionnées de la Préfecture de police et des autorités allemandes. Elle sera suivie d’autres vagues d’arrestations en 1941, auxquelles succèdent la déportation des internés et de nouvelles rafles de juifs en zone occupée et zone libre à partir de 1942.

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