19 mai 1919 : le génocide pontique, l’autre crime oublié

Le 19 mai 1919, Mustafa Kemal Pacha, qui deviendra par la suite « Atatürk », débarque en héros à Samsun, ville turque située au bord de la Mer Noire. Héros de la bataille des Dardanelles, il apparaît comme un recours politique dans un empire ottoman agonisant depuis sa défaite et la signature de l’armistice de Moudros le 30 octobre 1918 par le sultan Mehmed VI. La Sublime Porte s’écroule et les soubresauts font tressaillir un territoire gigantesque, alimentant les tensions et les convoitises. Mustapha Kemal conteste l’armistice et entre en résistance au gouvernement impérial. Il lance sa guerre d’indépendance.

La région où il débarque a une histoire particulière. Située au Nord de l’Anatolie, elle a été de toute éternité marquée par la présence d’une population grecque qui constitua le Royaume du Pont, donnant à ses habitants le nom de « Pontiques » en référence au Pont-Euxin, le nom antique de la mer éponyme. La situation des Grecs pontiques va rapidement devenir insupportable à la stratégie d’Atatürk et faire d’eux de véritables « indésirables ». La Grèce a terminé la guerre aux côtés des vainqueurs et de la Triple-Entente ; la présence de ce foyer grec dérange les plans du nationalisme turc en pleine expansion et qui s’établit sous la forme d’un nouveau gouvernement à Ankara. Surtout, les nouveaux maîtres des lieux imaginent une Turquie nouvelle et débarrassée de minorités intérieures désignées à la vindicte de l’opinion générale. A partir de 1919, le sort des Grecs pontiques est scellé, aggravant avec une intensité inédite les persécutions qui les avaient déjà pris pour cibles depuis de nombreuses années sous l’Empire.

En 1919, les Pontiques sont environ 600 000 dans les provinces ottomanes riveraines de la Mer Noire. En 1924, 400 000 ont été expulsés vers la Grèce en application du Traité de Lausanne de 1923 prévoyant des « échanges de populations » sur la base du nouveau découpage des frontières. Seuls 260 000 sont arrivés à destination. A l’instar du sort réservé dès 1915 aux Arméniens, le régime a organisé un génocide : 350 000 disparaissent entre 1919 et 1923, succombant aux massacres, aux travaux forcés ou aux déportations. Les 50 000 survivants doivent la vie à leur conversion à l’islam et à l’abandon de leur langue au profit du turc. La Turquie n ‘a jamais reconnu ce génocide, pas plus que le génocide arménien. Le 19 mai est devenu la date théorique de l’anniversaire d’Atatürk et Fête Nationale. Aujourd’hui encore, parler du génocide pontique en pareille occasion fait l’objet de polémiques en Turquie et demeure un sujet de tension permanent avec la Grèce voisine. Le récit national turc persiste à vouloir se construire sur la base d’une chimère immaculée, d’une mémoire faussée et d’une non-reconnaissance d’un passé qui, s’il était assumé et digéré, serait pourtant la base d’une mémoire de réconciliation et d’apaisement pour les générations futures. Le négationnisme persiste à perpétuer, pour des années encore, un horizon de ressentiments.

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