Peut-on rire des génocides ?
Peut-on rire de tout, y compris des génocides ?
Le genre humoristique autorise l’outrance, la caricature, la déformation des faits ou encore la provocation délibérée. Le registre de l’humour permet, traditionnellement, une grande liberté de ton et de parole consacrée par la liberté d’expression. Il n’interdit par nature aucun sujet, même les plus dramatiques. Leur traitement sur un mode léger, ironique ou cynique peut contribuer à œuvrer contre l’intolérance, exorciser la haine ou simplement à faire rire. Rien n’interdit de fait aux humoristes de s’emparer de ce type de sujet, l’humour noir étant le genre qu’ils privilégient souvent.
Il importe toutefois, pour demeurer dans le registre de l’humour, que les intentions de l’humoriste soient claires : qu’il ne soit pas, par exemple, soupçonnable de malveillance ; qu’il ait introduit, dans son sketch, la distance nécessaire pour ne pas heurter le public ; que l’objectif de faire rire n’attente pas à la mémoire et à la dignité des victimes ; que l’idéologie ne constitue pas le soubassement de la démarche « artistique ».
Si l’humoriste est connu pour ses attaques répétées à l’encontre d’un groupe de personnes, les références appuyées à une mémoire douloureuse peuvent s’apparenter à de la provocation, de la haine : l’invocation du droit à l’humour et à la caricature sert alors de prétexte ou d’excuse.
L’introduction du doute dans des sketchs, sur l’existence des chambres à gaz par exemple, ou l’utilisation d’un langage ambigu ou codé, peut transformer un sketch en discours idéologique. Il aura beau faire rire une partie du public, de connivence avec l’artiste, il ne sera pas moins problématique voire délictueux dans la mesure où il se révèle juste, en définitive, une autre manière de diffuser des propos que la loi réprime.
Rire des génocides n’est pas la même chose que rire avec ceux qui doutent des génocides ou les nient. À ce titre, l’invitation du négationniste de Robert Faurisson sur une scène parisienne par Dieudonné M’Bala M’Bala, en 2008, a jeté spectaculairement le discrédit sur un mélange mortifère – condamnable et effectivement condamné – d’humour et d’antisémitisme explicite. Comme d’autres genres, l’humour est dévoyé lorsqu’il devient, purement et simplement, de la propagande.