Quand l’aliment se fait racisme

« Ma mère, quand elle est arrivée en France – elle était italienne – s'est fait traiter de ‘sale macaroni’ », explique la maire d'une commune d'Ile-de-France. « Non, ce n’est pas une insulte raciste », lui répond une europdéputée, avant de retirer sur son propos. Qu'en est-il ?

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Le vendredi 27 novembre 2020, sur le plateau de France info, l’eurodéputée Manon Aubry (La France insoumise) était invitée à débattre de la question du racisme. Reprochant à la maire de Taverny (Val d’Oise), Florence Portelli, de n’avoir « aucune idée de ce qu’est le racisme », madame Aubry s’est entendu répondre : « Ma mère, quand elle est arrivée en France – elle était italienne – s’est fait traiter de ‘sale macaroni’. » L’eurodéputée, désireuse de souligner la force inédite du racisme que subiraient certaines minorités aujourd’hui en France, lui a alors rétorqué : « Non, ce n’est pas une insulte raciste », avant de revenir sur ses propos, plus tard dans la soirée.

Que faut-il entendre derrière « sale macaroni » ?

L’un des vecteurs courants du racisme est l’insulte. Elle peut être un nom dédié, renvoyant à un aspect culturel ou aux origines, utilisé de manière méprisante à l’endroit d’une personne ou d’un groupe de personnes, en vertu de l’appartenance, réelle ou supposée, à une nationalité, une « race », une origine ou une religion. L’adjonction du qualificatif « sale » accentue le mépris. Ainsi, « sale macaroni » appartient incontestablement à ce registre insultant et dégradant. Peut-on parler pour autant d’ « insulte raciste » ?

À l’époque de l’immigration italienne, à la fin du XIXe siècle, cette insulte témoigne en premier lieu d’un fort sentiment xénophobe, qui n’est pas sans parenté avec certains processus de racisation : l’étranger est désigné comme le profiteur, la menace, le parasite, celui qui est d’une culture inférieure et qui vient prendre la place des nationaux.
Ainsi, la méfiance et l’hostilité se sont parfois mues en haine et ont débouché sur des logiques d’humiliation, d’exclusion et même des violences meurtrières (huit morts et des dizaines de blessés à Aigues-Mortes, le 17 août 1893). Il est donc difficile, à cet égard, de minimiser la violence de l’insulte lorsqu’elle s’appuie sur un ensemble de stéréotypes et de préjugés. Car ce type d’insulte est l’expression d’un système de représentations négatives qui tendent à priver une personne ou une catégorie de personnes de leur dignité.
On pourrait ajouter que le recours à un objet ou un aliment, comme dans le cas du « macaroni », pour désigner un être humain, nourrit un regard déshumanisant. En conséquence, les insultes ou la diffamation de cette nature ne peuvent jamais tout à fait être déconnectées de dynamiques qui produisent des situations de discrimination. Le racisme est un écosystème où la « simple » insulte joue un rôle actif.
L’esclavage et la colonisation, ainsi que la persécution antisémite donnent inévitablement une résonance plus aiguë et toujours actuelle à certaines insultes. C’est un fait : le racisme a une histoire et une mémoire, qui déterminent des degrés d’attention variables, en raison de l’inscription des phénomènes dans le temps et des violences qu’ils ont fait subir. Le passé montre toutefois que les attaques verbales de cette nature, quelles qu’elles soient, sont parties prenantes de l’histoire des haines et des violences racistes : les minimiser ou les nier est un contresens historique et un obstacle à la compréhension du sujet.

Quelques exemples

On pourrait puiser de multiples exemples dans la littérature et la presse pour illustrer cette violence qu’a pu inspirer une interjection d’apparence anodine. Nous nous limiterons ici à quatre citations dont trois montrant la corrélation étroite du mot « macaroni » avec le registre du racisme :

Le mensuel Rouge-Midi du 23 septembre 1933 rapporte l’attitude d’un directeur de prison qui traite les détenus d’ « espèces de sale bicot, sale arabe, sale macaroni, sale juif ».

Dans l’édition du Droit de Vivre (journal de la LICA) de septembre 1953, un militant lance un appel en ces termes : « Ne laissons pas la xénophobie se développer dans certains milieux en France, pour qui les Italiens sont des macaroni, les juifs des youpins, les Nord-Africains une pègre. »

Président de la Ligue des Droits de l’Homme, Daniel Mayer décrit lors d’une conférence à la Sorbonne, le 14 février 1960, ce qui constitue, à ses yeux, la pente naturelle du racisme : « À partir du moment où l’on dit ‘raton’ pour arabe et ‘macaroni’ pour italien on accepte les fours crématoires, on accepte fût-ce inconsciemment, Auschwitz et Buchenwald. »

Dans une interview au journal Le Monde publiée le 17 février 2019, le chanteur Pierre Perret mentionne l’anecdote suivante au sujet de son engagement contre le racisme : « Le seul coup de poing que j’ai donné de ma vie, c’était dans la cour de récré, contre un trou du cul qui traitait mon copain réfugié italien de ‘sale macaroni’. Je lui ai foutu le pif comme une patate ! »

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